Vivaient dans une maison au bord de la forêt de Dènne un homme et ses deux enfants. Une fille et un garçon…
Le garçon, l’aîné, était d’une nature réservée et sage. Il ne prenait jamais de décision hâtive et veillait à ce que tout se passe bien. Il veillait surtout sur sa jeune sœur, en tout son contraire. Espiègle, agile et courageuse, elle ne manquait jamais une occasion de s’attirer des ennuis.
Les années passèrent et malgré leurs différences, les deux enfants s’adoraient plus que tout. Ils faisaient les quatre cent coups ensemble, la sœur entraînant toujours le frère. Mais tout changea après la mort inattendue de leur père… Son frère commença à devenir distant, devenant chaque jour plus silencieux, plus grave… Il avait embrassé le rôle de chef de famille et avait été obligé, en tant qu’ainé, de reprendre les affaires de leur père. Tel un fardeau trop lourd pour lui, il semblait si las… à bout… Le jeune garçon enjoué n’était plus… Il ne riait plus… Sa sœur avait bien tenté de l’aider, en lui proposant de le délester d’une tâche ou deux, mais il avait toujours refusé avec force. Aussi, ne supportant pas de voir son frère ainsi et d’être si impuissante, elle passait ses journées à courir les bois. Elle était devenue une chasseresse émérite. Elle y trouvait sa liberté et succombait sans limite à l’appel de la forêt… Surtout depuis l’arrivée de la bête…
Il n’y eut d’abord que quelques traces étranges laissées dans la boue… Puis du sang… Les restes d’un écureuil dévoré par ci, ceux d’un lapin par là… Et vint un jour où ce fut au tour du bétail du village d’être emporté… Les blessures étaient trop larges, trop profondes pour être causées par un animal de la région. C’était forcément autre chose, quelque chose de très grand et bien plus sauvage encore… La jeune fille était fascinée par cette créature… Elle hantait de plus en plus ses pensées et ses nuits. Elle était devenue une obsession !
– Je trouverai la bête et je la tuerai ! Dit la jeune femme à son frère un jour où elle rentrait du village. Elle a encore pris un mouton du vieux Balkan !
– Ne t’occupes pas de cette bête ma sœur, lui répondit calmement son frère. Certes un ou deux moutons disparaissent chaque année… Mais ce n’est pas grave… Imagines ce qu’elle pourrait te faire si tu tombais nez à nez avec elle dans les bois !
– Crois-tu que j’ai peur ?! Si elle me rencontrait c’est elle qui finirait mal, crois moi !
– Je te dis de laisser cela !
– Mais que se passerait-il si la bête s’en prenait à un membre du village ? Que se passerait-il si elle s’en prenait à toi ?
– Elle n’a jamais attaqué un humain, il n’y a aucune raison qu’elle le fasse !
– Quand les villageois seront las et prendront les armes pour protéger leur troupeaux, c’est peut être ce qui arrivera, on ne peut laisser ça se…
Le frère l’interrompit et haussa la voix comme il ne l’avait jamais fait :
– Je t’ai dit non ! Ça suffit, cesse perpétuellement de jouer à la plus maligne ! J’ai déjà bien trop à faire, je ne veux pas encore m’inquiéter davantage pour toi ! Tu n’es pas assez forte pour défaire cette bête !
Il se reprit, respira profondément et posa un regard sur sa sœur, très choquée par sa réaction. Il ajouta d’une voix bien plus douce :
– Tu es la seule chose qu’il me reste… Je ne veux pas te perdre toi aussi…
Mais elle se leva brusquement et juste avant de sortir de la maison, lui répondit en colère :
– Si tu tenais à moi, tu croirais en moi !
Les jours passèrent et tandis que le frère pensait l’idée de sa sœur contenue, elle s’entraîna encore plus ardemment au tir à l’arc. Elle n’avait qu’un seul objectif : tuer la bête et rapporter sa tête à son frère pour lui prouver sa valeur !
Elle passa des semaines à observer la forêt, à analyser les habitudes de la bête… Ses proies, son territoire de chasse, ses traces dans la terre humide. Elle avait même récolté quelques poils accrochés à des branches, mais elle n’avait encore jamais réussi à la voir de ses propres yeux. Néanmoins, elle se sentait prête !
Elle prit quelques provisions, son arc et ses flèches les plus acérées. Elle avait dit à son frère qu’elle partirait peut-être plusieurs jours, qu’elle allait chasser le faisan dans la région ouest de la forêt… Loin de ce que son frère pensait être le territoire de la bête.
Juste avant d’ouvrir la porte elle le regarda et lui lança, pleine de confiance :
– Tu verras ! Tu seras fière de ma prise à mon retour !
Il l’embrassa sur le front et lui souhaita bonne chance, puis elle partit.
Au bout de quelques heures de marche, elle s’installa derrière un saule, cachée par ses généreuses branches basses. Elle avait repéré l’endroit il y a quelques semaines. Il était fréquemment parsemé de restes d’animaux et de morceaux d’os. La bête devait s’y réfugier pour dévorer ses proies en sécurité. Elle se mit alors à l’attendre.
La jeune fille était perspicace et intelligente, car la bête ne tarda pas à arriver…
Elle ressemblait à un loup, mais se tenait sur deux pattes comme un homme. Elle avait d’horribles mains griffues et de terribles crocs blancs comme l’albâtre… La jeune fille était fascinée par la créature. Elle la trouvait à la fois incroyablement belle et effroyable…
Comment pouvait-elle ressentir tant de sentiments contraires en la regardant ? Elle finit par se ressaisir, elle était venue ici dans un seul but… Elle prit une grande inspiration, déboita de l’arbre qui la cachait et tira une flèche vers la bête. Dû à l’empressement et à la rapidité de son geste, elle rata son cœur mais réussit néanmoins à lui entailler le bras. La bête, prise par surprise, s’enfuit alors !
Elle avait réussi à la toucher ! Elle savait bien qu’elle pouvait le faire ! Ce n’était surtout pas le moment d’abandonner. Elle n’avait certes plus l’effet de surprise, mais la chasse, elle connaissait bien… C’était d’autant plus simple maintenant que la bête était blessée. Il lui suffisait de suivre les traces de sang qui perlaient sur le sol et de suivre les branches cassées. Elle en était sûre, la bête n’était pas loin ! Mais elle continuait de se cacher au lieu de lui faire face et la jeune fille se sentait observée…
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“Un pas, une branche qui se casse, une goutte de sang qui tombe sur la terre…”
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Déplaçant une ronce de son chemin, elle s’enfonça une épine dans la paume de la main, laissant s’écouler de sa peau une goutte de sang écarlate qui tomba alors sur le sol.
En un instant… Ne pouvant résister à l’odeur du sang humain, la bête bondit devant la jeune fille… Et d’un geste elle jeta sa patte contre la gorge fine de la chasseresse et l’ouvrit en deux… Dans un réflexe cruel, impossible à contrôler… La jeune fille tomba sur le sol… Agonisante…
Et alors qu’elle se vidait irrémédiablement de son sang au milieu des bois, à des lieux de toute aide possible, la bête prit la jeune femme dans ses bras… D’entre ses crocs sortit un hurlement de souffrance et de désespoir qui retentit dans toute la forêt… Et se furent des larmes qui se mêlèrent au sang qui imbibait la terre, car la bête n’était nulle autre que son frère…
La malédiction ne touchait que les hommes de la famille et à la mort du père il en avait hérité… Honteux et terrifié par cette nouvelle vérité qu’était devenue sa vie, et qu’il ne pouvait contrôler, il n’avait pas osé en parler avec sa sœur. L’appel du sang était trop fort et le jeune homme calmait sa faim sur les animaux vivants dans les bois… Mais il ne pouvait se contenir face à l’odeur du sang humain…
En un instant, incapable de maîtriser le mal qui le rongeait, il avait perdu tout ce qui avait jamais compté pour lui…
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Au village, on ne revit jamais plus ni la sœur, ni le frère…
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Il est dit aujourd’hui que si vous êtes perdu dans les bois et que vous avez l’impression de sentir le souffle chaud et humide de la bête se poser sur votre nuque vous pouvez alors crier le nom de la jeune femme. Vous entendrez sa voix s’élever au loin, appelant son frère… Espérant que cela suffise à le détourner de vous…
