L’ Esprit de la Forêt

"L'homme s'avança… Il n'avait plus le choix désormais… Ce dernier avait été fait en posant un pied sur le sentier de Daïnyr. Cet acte avait scellé son destin…"

Chaque bois, chaque forêt, chaque sylve de par le monde possède un protecteur. Si vous tendez l’oreille vous percevrez leurs murmures dans le vent des feuillages les plus hauts, ou dans le craquement de la brindille la plus basse. Ce sont les Esprits qui protègent leurs forêts. Tantôt tolérants, tantôt farceurs, d’autres en revanche sont intransigeants, estimant que le simple fait de traverser la forêt est une offense et que le prix fort est à payer pour cela.

Aujourd’hui laissez moi vous conter une histoire, celle de l’Esprit de la Forêt de Daïnyr.

L'Esprit de la Foret qui joue avec des champignons

*

Sorti de ses songes, aux premières lueurs de l’aube, par la toux rauque et étouffante de son père, le fils d’Ardor ouvrit les yeux. Il ne les avait pourtant fermés qu’une seconde, du moins lui semblait-il, car désormais la fatigue embrouillait ses sens et sa perception du temps.

Cela faisait déjà trois jours qu’il veillait son père et l’état de ce dernier ne faisait que décliner… Le jeune homme, incapable de rester impuissant devant l’inévitable, prit la décision d’aller chercher de l’aide auprès du médecin de Soïlle. Malheureusement, il le savait, le chemin pour s’y rendre était bien trop long. Il lui fallait passer par les collines du Nord, ce qui ramènerait son voyage à six jours de route. Ceci, car personne n’osait pénétrer la forêt de Daïnyr. On la disait maudite, hantée. On disait que personne n’en ressortait jamais. Aussi aucune route n’y était construite, seul restait un fin sentier de terre battue qui s’enfonçait dans la noirceur des bois. S’il voulait avoir une chance de sauver son père, il devrait l’emprunter. Le village se trouvait juste de l’autre côté et il ne lui faudrait qu’une journée pour faire l’aller-retour.

Mais le jeune homme ne pouvait s’empêcher de ressentir de la peur à la vue des premiers arbres qui se tenait face à lui. « Et si ? » se dit-il avant de se ressaisir, « ce ne sont pas de vieilles légendes idiotes qui vont m’arrêter » ajouta-il pour se rassurer. Il releva la tête et avança. Et c’est ainsi qu’il posa un premier pas sur le sentier de Daïnyr.

Chemin de la Foret de Daïnyr

Au bout de quelques heures de marche sur cet étrange chemin qui avait survécu au temps, plongé dans la pénombre et le calme étonnant de ces bois, il entendit un son étrange. On aurait dit le chant d’une femme. Comme si cette dernière chantait avec le murmure des oiseaux et le bruit des branches qui craquent. Attiré par cette mélodie d’une douceur sans pareil, il finit par apercevoir une silhouette qui se tenait sur un trône dessiné dans la sève d’un arbre coupé. Son immense beauté éclairait la forêt.

L'Esprit de la Forêt sur son Trone

Lorsqu’elle le vit, elle sourit :

« – Que vois-je ici apparaître en ce jour chez moi ? 

Un audacieux jeune homme le cœur aux abois ? 

Qui se risque ici à venir troubler ma paix ? 

Et qui de cela bientôt n’aura que regrets ? »

Elle se leva alors de son trône et s’avança vers lui. Grande, élancée, majestueuse, elle arborait de magnifiques cornes de biche sur la tête. Une longue robe blanche, nouée à la taille par une ceinture de cuir, couvrait la jeune femme jusqu’au pied. Ces derniers, quant à eux, foulaient, nus, les racines de la forêt. Tel un songe sinuant gracilement entre les arbres, elle arriva à la hauteur du jeune homme et le toisa, esquissant un sourire espiègle.

L'Esprit de la Forêt dans la rivière

Lui, restait sans voix devant le spectacle qui s’offrait à lui… Cette créature n’était pas humaine, c’était évident. Lui revint alors en mémoire toutes les légendes qui lui avaient été contées. Il comprit en cet instant que sous cette apparence enchanteresse, il risquait en réalité sa vie…

– Et bien alors, tu ne veux pas me répondre ?

– Si, si bien sûr que si… Esprit qui garde ces bois. Dit-il en tentant de dissimuler sa terreur. Je vous supplie de m’excuser d’avoir troublé votre paix. Ce n’était pas mon intention. Je voulais juste trav…

L’esprit l’interrompit immédiatement et cria en approchant son visage au plus près de celui de l’homme.

– TRAVERSER ?!

L'Esprit de la Foret qui crie

Elle ria, lui tourna le dos et s’éloigna de lui. Sans lui laisser le temps d’imaginer une échappatoire, elle plongea ses yeux noirs au plus profond des siens et ajouta en riant de plus belle : 

« – Traverser… MA… forêt ? 

Mais que crois-tu donc être misérable humain ? »

Le cœur vaillant il tenta alors d’expliquer son acte, faisant appel à la miséricorde de l’Esprit.

– Je ne me serais jamais permis cela, mais mon père est souffrant, il lui reste peu de temps. Je me devais de tout tenter pour le sauver. Passer par la forêt me permettrait d’aller chercher de l’aide dans le village voisin. Je l’ai fait pour lui…

– Crois-tu que la vie d’un simple humain m’importe ? Dit-elle, glaciale et implacable. 

Le visage de l’Esprit qui paraissait froid et terrible s’adoucit tout à coup et ses terribles yeux noirs laissèrent place à un doux vert opale. On aurait dit à nouveau la jeune fille magnifique et innocente qui chantait. L’homme n’arrivait pas à comprendre. C’était comme si plusieurs personnalités l’habitaient… que la folie l’avait prise.

Après un silence, elle le regarda en souriant.

L'Esprit de la Forêt de profil

« – Tu traverseras si tu gagnes contre moi. 

Empilons là, tour à tour les pierres du bois.

Si d’un mauvais jeu de main la tienne choiera.

Toi aussi tu rejoindras les pierres ici bas. 

Vivant ainsi, statique, spectateur du temps. 

Condamné comme ceux avant toi, impuissant. »

Elle désigna une pierre plate dans la rivière et s’accroupit à côté de cette dernière. Elle posa une première roche sur sa surface et le regarda. D’un geste de la main, elle l’invita à en poser une de plus. 

« – Sache que je suis aimable, gentille et juste.

Tu auras trois essais pour découvrir l’astuce ! » 

C’est comme si elle ne réalisait pas l’horreur qui se déroulait ici. Comme si tout ceci n’était qu’un jeu… La vie de cet homme n’étant résumée qu’à une distraction fugace dans l’immortalité de cette créature. On disait les esprits immortels et fous. C’était un fait et il y était confronté. Comment, empli de bonnes intentions, avait-t-il pu en arriver là ? Méritait-il vraiment l’injustice de ce cruel destin ? 

*

L’homme s’avança… Il n’avait plus le choix désormais… Ce dernier avait été fait en posant un pied sur le sentier de Daïnyr. Cet acte avait scellé son destin…

*

Tremblant, le jeune homme ramassa une pierre et commença une tour infernale avec l’Esprit. Pierre par pierre, comme l’on construit une tombe, il posa avec précision chacune d’entre elles. Il était bien déterminé à se tirer de ce mauvais pas. Il prit une pierre bien plate, parfaite pour l’endroit qui lui avait été imposé. Mais au moment de retirer sa main, un poisson vint frôler son pied qui était au bord de l’eau. L’homme sursauta et fit s’écrouler le premier tas de pierre. 

L’esprit ria aux éclats.

– Non, non, tu es bête et maladroit, j’ai gagné !

Elle leva deux doigts en l’air. Elle était excitée comme une enfant.

–  Plus que deux minuscules chances de jouer !

L'Esprit de la Forêt et le jeune homme qui joue

À nouveau la colonne de pierre se forma, démontrant la maîtrise du jeune homme, sa détermination et son adresse. L’Esprit pourtant semblait imperturbable et plus la colonne s’élevait, plus elle riait. Le jeune fils posa une pierre et au moment de retirer sa main, une abeille vint le piquer. La pauvre bête mourut sur le coup et la pierre de l’homme plongea dans la rivière… 

Aux aguets, blessé, l’homme se reprit… encore plus déterminé qu’avant. Il pouvait réussir, il en avait la certitude ! A nouveau la colonne s’élèva, encore plus haute que les précédentes et au moment de retirer sa main, attentif à tout son environnement il l’ôta et la posa délicatement sur sa cuisse. La pierre resta immobile quelques instants. Le jeune homme n’osait pas respirer quand tout à coup, une brise vint faire basculer la pierre, qui plongea encore plus profondément dans la rivière.

L'Esprit de la Forêt et le jeune homme qui perd

Car nul ne peut gagner contre la folie et la monstruosité. Et tous sommes impuissants face à elle… Telle était l’astuce, celle qui même trouvée ne pouvait aider…

*

La dernière chose qui lui apparut avant de tomber lui aussi dans la rivière fut le visage de son père. C’est avec cette dernière image qu’il devrait maintenant vivre pour l’éternité… Piétiné, impuissant, roulant au gré de la rivière et du vent… Observant tour à tour les prochaines pierres de la rivière approcher.

*

Ainsi se finit l’une des histoires de l’Esprit de la Forêt de Daïnyr. 

L'Esprit de la Foret qui joue avec l'eau

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